Dernière édition : 16 mars 2014
Nichés au fond d'un bois de pins, cachés au bout d'un sentier ou surplombant fièrement la vallée du haut d'une montagne tels une forteresse, les monastères de Chypre ont mille visages.
Certaines des églises et chapelles ont plus de mille ans et plusieurs sont inscrites au patrimoine de l'humanité de l'UNESCO.
Le plus grand – et le plus riche – des monastères est celui de Kykkos dans le massif montagneux du Troodos. Une belle route y mène, traversant la vallée fertile de Marathassa renommée pour ses cerises et ses villages pittoresques. Faire cette route au moment de la floraison des cerisiers est un régal et on en oublierait presque le but du voyage. Ce qui serait dommage car Kykkos vaut la peine d'être visité même si de ces murs richement ornés ne se dégage pas cette sérénité si typique que l'on ressent dans nombre d'autres monastères anciens.
Mais Kykkos a un rang à tenir. N'est-ce pas ici que le héros national, l'archevêque Makarios, fut novice ? Sa tombe, tout près du monastère, est devenue un lieu de pèlerinage national.
En passant le porche, on se croirait presque dans un conte de mille et une nuits. Tout n'est que mosaïques dorées, tout respire l'opulence, la richesse. De l'église, s'élève le chant des moines. Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que, timidement, on ose avancer vers l'iconostase, admirer les icônes. Parmi elles, la plus vénérée des fidèles, l'icône miraculeuse de la Vierge Marie peinte, selon la légende, par saint Luc. Dommage, la peinture est recouverte par une feuille d'argent et enchâssée dans un écrin en écaille de tortue et en nacre. Bien que le monastère fût pillé par les Turcs en 1821, son petit musée contient une magnifique collection de reliques et ornements ecclésiastiques.
Après toutes ses splendeurs, direction le monastère d'Agios Néophytes à 9 km au nord de Pafos. Visiter un monastère après Kykkos ? Mais que peut-on encore découvrir d'exceptionnel ? Et pourtant ! Ce lieu particulier a été fondé aux environs de 1200 par l'ermite Néophytes.
Avant de pénétrer dans l'enceinte abritant le monastère, l'église et un petit musée, on se dirige vers la montagne en face. Un escalier permet l'accès à la grotte où vivait l'ermite. Aidé par ses disciples, il aurait, de ses mains, creusé une chapelle dans le rocher, un petit sanctuaire consacré à la Sainte Croix, et une cellule dans laquelle on a trouvé la tombe du saint homme. En pénétrant dans la grotte, on a presque le sentiment de commettre un sacrilège ; Les voix passent au chuchotement avant de se taire : chaque millimètre est recouvert de peintures ; les magnifiques fresques byzantines suivent les anfractuosités de la roche. Plutôt que devant une icône, si belle et miraculeuse elle puisse-t-être, c'est ici, dans l'intimité de cet ermitage troglodyte, qu'on se surprend à formuler un vœu ; et qu'on est – presque – sûre d'être exaucé !
En face, au monastère, certains jours après l'office, les moines invitent à se restaurer avec des gâteaux et une boisson. Des rencontres inattendues se font aussi dans l'église où une vieille femme offre un morceau de pain béni, une autre une petite branche à repiquer au jardin.
Un autre ermite, saint Ignace, a fondé le monastère de Chrysorrogiatissa en 112. Il abrite des magnifiques icônes mais aussi une très belle cave à vin de 1751. Les vins du monastère sont souvent primés.
Pour échapper au flot incessant de touristes trop curieux, les monastères ont instauré des heures d'ouvertures.
Celui de Stavrovouni' a trouvé une autre parade en interdisant son accès aux femmes. Cela dissuade les tours opérateurs de monter en bus Stavrovouni ». Au sommet de ce pic rocheux sur lequel le bâtiment est perché. Mais sa situation est trop belle pour ne pas en faire l'ascension, rien que pour la vue. Mais l'accès n'est pas facile. Je m'étonne, en quittant l'autoroute Lefkosia - Limassol, de ne rencontrer aucun bus avec son contingent de touristes. Je m'inquiète sérieusement en me retrouvant en plein milieu d'une base militaire entourée de barbelés, j'hésite à rouler entre deux rangées de soldats chypriotes au garde-à-vous (faut-il saluer ?) avant de m'armer de courage et d'arrêter la voiture en veillant à ne pas caler lamentablement pour demander mon chemin. « Oui madame, c'est la route pour Stavrovouni. ». Alors je continue à grimper les lacets étroits, petit supplice pour chaque touriste n'ayant pas l'habitude de rouler à gauche ! Mais la récompense m'attend au sommet : la vue est magnifique et le monastère, vu de près, ressemble à une forteresse. La grimpette en valait la peine.
En descendant, je préfère éviter le bataillon en pleine manœuvre pour m'arrêter au petit monastère d'Agia Varvara. Les moines semblent ne pas faire attention aux visiteurs et, après un rapide tour dans l'église, j'ai hâte de quitter les lieux. C'est là qu'un moine me rattrape, m'obligeant presque à m'asseoir sur un banc dans la cour. Un autre m'apporte de l'eau fraiche sur un plateau d'argent avec des fruits frais du verger, des oranges confites. Les moines font d'ailleurs le miel le plus parfumé de l'île. C'est une autre des rencontres inattendues qu'on fait dans les lieux de foi.
Une autre station sur cette route des lieux de foi est le couvent d'Agias Minas. Surtout, n'y allez pas lors d'un « arrivage » si vous voulez avoir une chance de pouvoir observer une sœur en train de peindre une icône.
Pourquoi ? Les sœurs sont agacées par la tenue vestimentaire des touristes. Shorts, bains de soleil et mini-jupes sont à prescrire tout comme un bavardage incessant. En arrivant seul ou en couple, il y a de fortes chances de pouvoir discuter avec les sœurs car elles sont tout aussi curieuses que tous les Chypriotes. La sœur qui est en train de peindre me fait m'asseoir près d'elle, m'offre des bonbons et m'explique (en grec !) la minutieuse technique de son art. Une autre me fait goûter le soujouko, douceur locale faite à base de jus de raisin, de miel et d'amandes, et une troisième m'offre un petit porte-bonheur !
Aller de monastère en monastère, d'église en église, de chapelle en chapelle, est aussi une façon de découvrir Chypre, de rencontrer ses habitants. Après avoir assisté par hasard à un baptême orthodoxe, la famille m'a invitée au festin auquel assiste tout le village. Étranger ? Un mot qu'on ne connaît pas à Chypre.
C'est un des moments forts de Chypre, la Pâque orthodoxe. La religion orthodoxe est profondément enracinée sur l'île même si seul 15% de croyants viennent chaque dimanche à l'église, 15% de plus deux à trois fois par mois. Mais tous se retrouvent lors des fêtes pascales à assister, au moins en partie, aux longs services religieux, matin et soir. Les églises sont pleines à craquer, des haut-parleurs diffusent les litanies sur la place publique où tous les villageois se retrouvent.
A la ferveur religieuse répond un esprit de fête, les jeunes femmes et filles sortent leurs plus belles robes (et chaussures !), des marchands proposent moultes sucreries. Dans la mesure du possible, chacun rentre dans son village, sa famille.
Les points forts de la semaine sainte débutent avec le « green Thursday », le jeudi vert (jeudi saint) : dans les églises, c'est la scène, avec la cérémonie du lavement des pieds. Les prêtres gardent des hosties de cette eucharistie pour les distribuer aux malades et aux enfants tout au long de l'année. Dans les familles, on ne mange que des aliments verts, donc des légumes, pour faire carême.
Le vendredi saint, c'est la passion du Christ. Une grande croix est portée en procession devant l'iconostase. A l'extérieur, des villageois s'affairent pour fleurir le tombeau : des simples fleurs du jardin jusqu'aux somptueuses orchidées blanches, tout est possible ! Les fleurs symbolisent le réveil de la nature, le renouveau donc l'espoir de la résurrection. Samedi, des files interminables de fidèles passent devant le tombeau gardé par des soldats. Des processions tournent autour, parcourent les rues. Tous attendent minuit et l'annonce de la résurrection du Christ.
Dans les familles, on a déjà préparé des pâtisseries de Pâques ainsi que des œufs peints rouges pour offrir.
Dimanche, après le repas pris en famille, tous les villageois se retrouvent pour des jeux, des animations. C'est jour de fête !
En 2013, nous avons eu l'honneur d'être reçus par l'archevêque de Chypre, le patriarche Chrysostomos, à Nicosie, lors d'une visite du palais archiépiscopal. Dans un entretien, cet homme de foi mais aussi d'action, a évoqué la situation politique, la pratique de la foi et, évidemment, la crise économique et monétaire. Il n'a pas peur des mots.
Depuis 1975, la partie nord de la république de Chypre est occupée par l'armée turque. Quelle est la position de l'église orthodoxe ?
« Le peuple doit être à nouveau uni. Une coexistence paisible est possible, nous l'avons vécue par le passé. L'Église œuvre dans ce sens. Des négociations sont menées depuis des années. Mais si on peut envisager une confédération, on ne peut absolument pas accepter deux États différents. Malheureusement, actuellement, il n'existe aucune base de discussion. »
Quelle serait la condition pour que les négociations avancent ?
« Que les émigrants anatoliens quittent l'île. »
Mais leurs enfants qui sont nés et ont grandi à Chypre ?
« Eux aussi, sauf bien sûr s'il y a des mariages mixtes. Mais ceux-ci sont rares, même les nouvelles générations ne se mêlent pas. La mentalité des vrais Chypriotes du Nord et des descendants d'émigrants turcs n'est pas la même. »
Quel poids a l'avis de l'Église au niveau du gouvernement ?
« Si notre avis est clair et bien défini, il est écouté. »
Le rôle de l'Église orthodoxe à Chypre est donc bien plus qu'uniquement spirituel ?
« Nous œuvrons pour amener le peuple vers l'Église, vers Dieu. Dans cet objectif nous devons aussi assumer un rôle social, culturel et politique. Trouver des solutions pour la libération de la partie nord occupée en fait partie. »
Comment expliquer la ferveur des Chypriotes ?
« Tout au long de son histoire, l'île a subi beaucoup de dominations étrangères. La foi, l'Église, était le seul refuge. On ne peut pas séparer le spirituel de l'aspect économique et national. »
La crise monétaire ?
« L'Europe nous a déçus. Nous avions espéré un soutien dans nos efforts de réunification de notre pays mais aucune solution politique n'a été avancée. Et maintenant, cette crise monétaire. Au moment de l'adhésion à l'Union européenne, notre pays a été cité en exemple pour le travail accompli et tout d'un coup, nous avons l'impression que l'on veut nous punir. De quoi ? De pratiquer des taux bas ? D'autres pays le font. De blanchiment d'argent ? Arrêtons l'hypocrisie, cela arrive partout. Nous avons vraiment l'impression qu'il y a un plan derrière tout cela pour détruire notre économie. Peut-être pour pouvoir récupérer nos nouvelles ressources naturelles ».