La Martinique et ses rhums

L’Habitation Saint-Etienne fait partie des belles rhumeries de la Martinique. C’est un lieu où l’on célèbre, évidemment, le rhum, mais aussi un site qui a une âme.

Dernière édition : 28 janvier 2021

Mais qui est donc Elmire ? Celle qui, si l’on en croit l’écrivain Patrick Chamoise, apparaîtrait à chaque buveur arrivé au stade où le temps s’arrête. Elle prendrait alors les traits inspirés par son ivresse, ses joies et ses peines…. L’auteur martiniquais n’a pas son pareil pour conter les Antilles, son peuple et son histoire. « Elmire des sept bonheurs » est un conte en hommage aux travailleurs de la distillerie Saint-Etienne. C’est avec délice que l’on plonge dans les confidences d’un vieux travailleur de la rhumerie.

« Un siècle de belles paroles flotte autour de l’habitation Saint-Etienne… Des secrets flottent aussi. Une boule de secrets qui raccorde 1883 au jour d’aujourd’hui. En fait, c’est une addition de petits secrets, un vieux savoir, un vrai savoir, que seuls possèdent les sarcleurs de ces terres… le père Simonnet avec sa montre en or ; ou Zolbè le coupeur de cannes. C’est Théolomène le séancier, qui travaillait aux engrais, et Colocomède l’oursmamé, le bon maçon, qui avait construit la cheminée en ciment armé de Saint-Etienne comme une palme de victoire au-dessus des mornes. Il y eut aussi Man Amélya Sérénisse, qui travailla toute sa vie au nettoyage des cuves puis à la mise en bouteille ; Pè DèDè, qui conduisait la charrette-trabot dont les grandes roues provenaient de France ; et Isidore Adélodaine, l’ababa qui s’occupait du jardin.

Le peuple de Saint-Etienne se retrouvait comme ça à travers les âges, autour des premières gouttes qui transpiraient dans un baquet en cuivre. Légendes, secrets, mille belles paroles… il y a là un siècle de vies, de patience, de travail et d’intelligence. Ce rhum, ce nectar sur lequel les distillateurs pleurent de rage respectueuse dans toute la Caraïbe, oui, c’est nous qui l’avons fait. »

Après avoir lu cet extrait publié sur le site de HSE, nous avons décidé que la plantation Saint-Etienne sera la première sur notre liste. D’autant que, bizarrement, nous ne connaissions pas (encore) les rhums HSE, Habitation Saint-Etienne.

Direction le Gros Morne à Saint-Joseph, dans le nord de l’île où HSE possède quelques 650 ha de champs de cannes à sucre et de bananeraies. Au début du XIXe siècle s’y trouvait une sucrerie, transformée plus tard en distillerie agricole. Tombé dans les oubliettes, le domaine est racheté en 1994 par les chefs d’entreprise José et Yves Hayot. Père et fils se lancent dans de grands travaux de restauration, revalorisant le patrimoine architectural.

Avec succès : la distillerie et son aqueduc sont inscrits à l’inventaire des Monuments Historiques, témoignant de la belle architecture industrielle de la fin du XIXe siècle. Son parc, qui est libre d’accès, est labellisé « Jardin remarquable ».

Starway to heaven - Philippe Perrin
La vision du vaincu - Victor Anicet

Des œuvres d’art monumentales, des palmiers, des arbres remarquables et des fleurs tropicales ponctuent la balade le long d’un canal empierré.
La maison de maître surplombe les bâtiments de la distillerie.

Délicate rose de porcelaine.

Une belle façade attire le regard : les 28 fenêtres aux arcs cintrés assurent la ventilation du chai où vieillissent patiemment les rhums.

Quelques rails témoignent de l’époque où des animaux de trait tractaient les wagonnets remplis de canne à sucre.

La rivière Lézarde, domptée par un canal empierré, fournit l’énergie hydraulique.

La sainte alliance - Victor Anicet

Les anciens chais de vieillissement de l’habitation Saint-Etienne sont dédiés à l’art sous toutes ses formes. Les « Foudres HSE  accueillent des plasticiens, des chercheurs, des poètes, des musiciens. Tous les deux ans, des expositions temporaires font découvrir les œuvres d’artistes contemporains.

Mais revenons au rhum !
Les Foudres HSE abritent aussi la boutique de dégustation.

Juste une petite précision : sur le site on élève et fait vieillir le rhum distillé à la distillerie du Simon (tout comme aussi les rhums Clément). Pour sa belle gamme de rhums, HSE plante des variétés de cannes à sucre spécifiques et travaille également avec des planteurs indépendants.

La famille Hayot n’a pas seulement réhabilité le patrimoine architectural de l’habitation Saint-Etienne. Elle a aussi créée une gamme de rhums excellents loin du folklore de la Martiniquaise avec son petit fichu en madras. HSE défend la qualité de l’AOC Martinique et son rhum agricole obtenu à partir de la canne à sucre et non pas issu de la mélasse. Rhum HSE engrange les médailles et distinctions comme au dernier concours mondiale de Bruxelles spirit sélection 2020.

Cyrille Lawson, d’origine bordelaise, suit cette aventure de reconstruction presque depuis le début. Nous avons eu la chance de faire la visite et la dégustation en sa compagnie.

Il est intarissable dès qu’il s’agit des rhums HSE ! Il parle du terroir, du rhum vieux, des cask finish (fin de l’élevage, la finition, dans des fûts ayant contenu du vin, du whisky, du sherry, du porto…).

« Pendant le vieillissement, les parfums se font plus intenses, plus complexes. Nous avons aussi des cuvées limitées comme la Parcellaire canne d’or distillée à partir d’une variété de cannes à sucre cultivée sur nos parcelles en-haut du domaine. »

Nous rencontrons David Maire, originaire comme nous d’Alsace, chef de ligne à la mise en bouteille (et qui nous fait goûter une petite merveille!).

Nous voilà prêts à retrouver Sophie pour la, ou plutôt, les dégustations !

Au bout du 3e verre j’ai arrêté à prendre des notes… Impossible d’établir une préférence ! Moi, c’est plutôt le rhum blanc qui chez HSE bénéfice d’une lente maturation, révélant des arômes magnifiques. Et tout particulièrement pour la cuvée Parcellaire#1 issue de la distillation de la fameuse canne d’or.
Hervé a craqué pour un rhum agricole extra vieux…

Infos

Habitation Saint-Etienne
Rhum HSE
97213 Gros Morne.
Exposition permanente,
Entrée libre
https://www.rhum-hse.com

Lire

Patrick Chamoiseau, extrait de : Elmire des sept bonheurs, confidences d’un vieux travailleur de la distillerie Saint-Etienne, photographies de Jean-Luc de Laguarigue.
Editions Gallimard (1998)